Dans un premier temps, il est important de préciser comment le protestantisme comprend ce que nous appelons le "sacré".
On comprend trop souvent la religion comme la gestion du sacré.
Premier point, il y a du "sacré" en dehors de la religion: la manière dont on parle parfois de certains sports (le football par exemple) laisse rêveur... Plus sérieusement, on peut dire que l'on commence à sacraliser quelque chose dès qu'on l'absolutise au nom d'une vérité transcendante. Le pouvoir a fourni dans le passé maints exemples, que ce soit par la sacralisation des personnes, depuis les Pharaons jusqu'à Hitler, ou par la sacralisation des idéologies: le communisme par exemple, et plus proche de nous l'extrême-droite. Et à ce titre, tout ce que l'homme sacralise peut devenir la justification d'une violence exercée contre ceux qui sont considérés comme des ennemis, parce qu'ils ne tiennent pas pour sacré les mêmes choses. En diabolisant ainsi l'ennemi, on essaie de rendre légitime sa destruction.
Second point, certaines religions, et en particulier le judaïsme et le christianisme, ont contribué à désacraliser le monde et la religion, en libérant l'homme de la crainte de la nature: les premiers chapitres de la Genèse en sont l'illustration la plus forte. Le premier récit de la création, Genèse 1, fait du soleil, de la lune et des étoiles de simples "luminaires", à une époque où le monde environnant faisait de ces astres des divinités. Et l'on a longtemps pensé que les montagnes étaient propices à rapprocher de Dieu, si bien que l'on choisissait des lieux élevés pour bâtir des temples. Lorsque la Samaritaine demande à Jésus s'il faut adorer sur le mont Samarie ou sur la montagne de Jérusalem, Jésus réplique "l'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père... l'heure vient, et c'est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité: car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche" (Jn 4, 21-23).
Troisième point: le protestantisme a contribué fortement à
désacraliser la religion même. Pour nous, l'institution
ecclésiastique n'est pas sacrée. L'Eglise est une institution
qui n'est pas sainte en elle-même, elle est toujours à
réformer. Et les pasteurs ne sont pas des personnes "à part",
ils n'ont pas de pouvoir spécial, si bien qu'un laïc peut chez
nous baptiser ou encore célébrer l'eucharistie. Et si certaines
branches du protestantisme ont tendance à sacraliser la Bible, c'est
parce qu'elles oublient que ces textes n'ont pas été écrits
sous la dictée de Dieu. L'histoire de la rédaction de la Bible
est complexe, des théologiens comme Bultmann, pour ne citer que le
plus connu, ont fortement contribué à montrer que le langage
mythologique, si on le prend au premier degré, peut cacher le coeur
du message biblique: le salut par la seule grâce de Dieu.
Ces précisions nous permettent de dégager quelques points importants dans notre dialogue avec les femmes et les hommes de notre temps, qui sont en recherche. Et je préfère parler d'une recherche de sens plutôt que d'une quête du sacré.
Premièrement, il importe de chercher à comprendre ce que l'interlocuteur veut dire lorsqu'il parle d'une quête du sacré. Cette quête peut cacher bien des choses, entre les deux extrêmes que sont la tentative de "mettre Dieu de son côté", et donc d'avoir un certain "pouvoir sur Dieu" d'une part, et l'abdication de toute volonté propre, de toute responsabilité personnelle d'autre part. La magie est l'illustration de cette tentative d'obliger le dieu à faire ce que l'on désire. Le dévouement total à un guru est l'expression du renoncement à toute volonté propre d'autre part, et donc à toute responsabilité personnelle.
Deuxièmement, il faut être attentif à ne pas opposer un système supposé supérieur, le nôtre, à un système supposé fautif, celui de l'interlocuteur. Mais il importe de rappeler, du moins en protestantisme, que le message biblique est un message de grâce. Et qu'à ce titre, il est message transcendant: nous ne pouvons mettre la main sur Dieu, quelle que soit la justesse ou la fidélité de notre service. A ce titre, il est message de libération: aucune puissance, aucune autorité, aucun pouvoir, aucune calamité ne peut nous séparer de l'amour de Dieu, pour paraphraser l'apôtre Paul. A ce titre enfin, il nous renvoie à notre dignité et à notre responsabilité de femme ou d'homme debout devant Dieu.
Troisièmement, il importe de nous rappeler toujours que ce dialogue doit permettre une "fécondation réciproque", une "transformation créatrice mutuelle". "Une religion, quelle qu'elle soit, a besoin de critique pour rester vivante et vraie" (André Gounelle, in Evangile et Liberté n°102 p 6). Ce dialogue doit respecter l'altérité de la transcendance, car elle "se situe toujours au-delà ce que nous pouvons savoir, posséder, fixer dans nos rites et nos dogmes"
En conclusion d'un trop bref parcours, comment ne pas revenir sur ce qui pour nous est l'essentiel, le "sola gratia" ?
L'affirmation de la grâce de Dieu en effet permet de dégager le dialogue des enjeux identitaires qui l'encombrent habituellement. Notre identité, notre doctrine, notre salut même ne sont pas des possessions auxquelles nous devrions nous cramponner. Ce sont des grâces qu'il nous faut sans cesse recevoir. Nous ne sommes pas sauvés par la justice de nos oeuvres, ni même par la justesse de nos croyances, ainsi que l'affirme Tillich: "Vous ne pouvez atteindre Dieu en oeuvrant à acquérir une pensée droite ou par une sacrifice de l'intelligence oou par une soumission à des autorités extérieures, telles que les doctrines de l'Eglise et la Bible. Vous ne pouvez, et il ne vous est même pas demandé d'essayer. Aucune oeuvre de piété, aucune oeuvre morale, ni aucune oeuvre de l'intelligence n'instaure d'unité avec Dieu. Elles découlent de cette unité, mais elles ne la font pas." (Cité dans Evangile et Liberté, n°136, p IV)
N'est-ce pas là, en même temps qu'un appel à la responsabilité personnelle, un fantastique message de liberté dans la relation à Dieu et à l'autre ?
Pasteur J.-P. GARDELLE
Eglise Réformée de Poitiers