Rameau monothéiste de la Tradition Abrahamique, l'islam est actuellement
en quête d'une place dans un occident imprégné d'une
culture judéo-chrétienne d'une part et gréco-romaine
d'autre part, une civilisation forgée le long d'une histoire conflictuelle
qui a marqué depuis la Révolution et le siècle des
Lumières le début d'un rupture avec le sacré. Ce fut
l'émancipation de la raison, puis vint le règne de la
sécularisation, qui a trouvé sa
forme la plus poussée dans la laïcité
française. Qui dit sécularisation évoque la disparition
du sens et une société coupée de l'invisible. Le monde
désormais, est désenchanté. Mais voilà que ce
désenchantement tend à nous faire percevoir la sécularisation
comme une position stable, finale, neutre, à tel degré qu'elle
en a longtemps découragé la polémique, un espace de
vérité impartial à l'abri pour ainsi dire des redoutables
effets religieux. Un état après lequel il n'y a rien à
ajouter. C'est évidement une grande illusion. Au lieu de la mort du
religieux, la sécularisation a ressuscité de nouvelles formes
de polythéisme. Le fait majeur depuis trente ans ce n'est plus le
retour du religieux, c'est de l'importance de fait et de droit des religions
dont il s'agit. On a cru d'abord que l'époque était athée
le refus du christianisme fut un moment l'athéisme, puis on a parlé
de l'indifférence religieuse. Ce qui suit le christianisme n'est pas
forcement le désenchantement, non plus le réenchantement. Ce
sont aussi des conceptions religieuses différentes de celles du
christianisme qui font actuellement apparition dans la l'univers laïque.
Le christianisme lui-même a changé. En effet, et comme l'a bien
remarqué Marcel Gaucher, ce qui a changé, ce n'est d'abord
pas une République bien laïque, mais son opposé, ce contre
quoi elle avait eu à se définir.
Parallèlement notre modèle républicain garant d'une
forte sécularisation - à la rousseauiste qui ne que conserve
du citoyen que son côté individuel abstrait et qui doit se dissoudre
comp1ètement dans la République - est actuellement
déstabilisé par l'éclosion des revendications identitaires,
cu1turelles, ... en plus de l'émergence de formes religieuses
imprévues : des "religions" sans Dieu, des sectes et un retour paradoxal
à l'irrationnel au moment où on a cru que 1a modernité
avait chassé définitivement et sans retour l'esprit de la magie.
L'histoire de la sécularisation avec le sacré n'est pas finie.
Pensant exclure petit à petit le christianisme jusqu'à
sa chute finale, la sécularisation a rendu encore plus complexe
sa propre situation. au lieu d'avoir en face d'elle une seule religion, elle
a actuellement à gérer un polythéisme qu'elle a produit
elle-même. La société sécularisée devra
gérer une nébuleuse de formes religieuses, des religions
athées jusqu'aux religions panthéistes.
L'islam vient s'inscrire dans cette épisode de la sécularisation, dans la laïcité française telle qu'elle est actuellement. Son irruption soudaine, imprévue et massive an coeur de l'occident pose plus d'une question. La situation interroge ses références et le mode que devra prendre sa pratique. Cette introduction de l'islam en occident vient remettre en cause le sens de l'européanité en tant que résultat d'un triple héritage grec, romain et judéo-chrétien selon cette définition classique de Valéry que l'on exprime souvent en la triade : Jérusalem - Athènes -Rome. La question de la présence rnusulmane en Europe occidentale avec ce qu'elle implique comme bouleversement dans les mentalités européennes est incontestablement un enjeu capital. Elle peut constituer à cet effet, si on parvient à la réussir, un pont pour un dialogue positif fécond entre le nord et le sud, et un catalyseur sûr pour des relations solides intermediterranéenes. Qualifié souvent de religion totalisante, l'islam n'entre pas facilement dans la problématique occidentale du désenchantement.
Les musulmans doivent apprendre à vivre au coeur de la laïcité et à lire leurs références à la lumière de son contexte. Il y a tout un travail théologique et canonique à effectuer pour réussir l'intégration de l'islam dans le paysage occidental. Nous devons délimiter les sphères de nos pratiques dans le cadre que permet le droit sur le champ théologique, culturel et moral, en prenant en considération dans sa théorisation le contexte séculier. Cette situation redynamisera certainement ce procédé que l'on appelle en islam par l'ijtihad. Il y a donc un défi théorique pour les musulmans, quant à la formulation canonique d'une religiosité morphologiquement réalisable en occident.
Il y a aussi l'obstacle des mentalités forgées par une histoire conflictuelle entre l'occident et l'orient, entre le monde Chrétien et le monde musulman, des perceptions cristallisées sur des clichés véhiculés par les mass-média qui interprètent toute manifestation de la foi musulmane comme une ostentation, une provocation ou un intégrisme. A cet égard, la présence de l'islam a contribué à reposer la question de la laïcité, laquelle présence par sa visibilité propre a pu dévoilé l'écart quipeut exister entre le droit et les valeurs d'un Etat-Nation et les mentalités de ses citoyens. La question du foulard dit islamique en est l'un des exemples les plus révélateurs. Il n'est que ce petit arbre qui cache toute une forêt ; car il y a aussi le problèmes de la construction des mosquées, les aumôneries...
Beaucoup de mentalités en cette matière doivent changer y compris chez les musulmans eux-mêmes. Un nouveau pacte de tolérance, qui inclurait cette fois-ci l'islam en tant que religion de France et non plus une religion étrangère, est plus qu'urgent.
Recteur de la Mosquée de Bordeaux
Président de l'association "Les Imams de France"