1- LES SOURCES DE L'ISLAM
Le musulman se réfère, dans son approche religieuse, à deux sources qui déterminent ses
orientations et lui présentent le champ du possible de son action ainsi que les limites de celle-ci
: le Coran et la Sunna.
LE CORAN
Le Coran est pour les musulmans la parole de Dieu révélée
par fragments au Prophète Muhammad par l'intermédiaire de l'ange
Gabriel pendant les vingt-trois années de sa mission. Il est constitué
de 114 chapitres (sourates) elles-mêmes composées de versets (âyâtes).
Il est compilé dans le corpus coranique appelé "moushaf" dont
la lecture est un acte cultuel, liturgique.
Sa transmission s'est effectuée par le procédé de tawâtour
: une démarche de mémorisation collective qui élimine toute
erreur dans la transmission.
Le texte coranique est, avant toute chose, un rappel aux hommes pour les amener
à revenir à la foi originelle en Dieu et à chercher, de
fait, à s'approcher du comportement moral idéal : Plus de son
tiers est constitué par l'expression de la foi en l'unicité du
Créateur (tawhîd). De très nombreux versets évoquent
l'histoire des Prophètes antérieurs dont la narration traduit
la continuité des messages et leur essence unique. D'autres parlent de
la création, de l'univers. Tous ces passages sont propres à donner
naissance à la spiritualité qui doit accompagner le croyant.
D'autres versets insistent sur les modes de relations que les hommes doivent
entretenir entre eux ou avec leur environnement ; en somme du projet social
dans son sens global.
LA SUNNA
La Sunna du Prophète qu'on a coutume d'appeler Hadith, est la seconde
source de référence islamique. Elle est le recueil des dires,
des actes et des consentements attribués au Prophète. Elle constitue
en quelque sorte l'incarnation matérielle de la Révélation
dans un comportement humain permettant de s'approcher des objectifs de la Révélation
et de mieux en comprendre le sens et la portée. La sunna traite des dogmes
de la croyance, des rites, de la morale, de la loi...
Contrairement au Coran, les Hadiths ne sont pas tous qualifiés d'authentiques.
Et les authentiques d'entre eux ne le sont pas au même degré. Seuls
ceux qui remplissent les conditions de tawâtour, à l'instar
des versets coraniques, sont considérés certains, avérés
et irréfutables quant à leur autorité théologique,
rituelle, éthique ou juridique et sont utilisés quasiment au même
titre que les versets du Coran.
2- ENTRE L'ABSOLU DES SOURCES ET LE RELATIF DES LECTURES
A première vue, la référence constante au Coran et au
Prophète peut apparaître comme un obstacle au changement, comme
la volonté de voir appliquée aujourd'hui une législation
datant de quatorze siècles. Si la parole de Dieu est absolue, une et
définitive, cela reviendrait à dire que ce qui a été
reçu au VIIème siècle comme parole de Dieu serait
à appliquer tel que à toutes les époques ultérieures.
L'islam serait donc, par essence, fondamentaliste au sens où l'on
comprend cette notion dans l'histoire du christianisme.
En réalité cette compréhension est bien réductrice.
Elle ne correspond ni à l'enseignement du Prophète ni à
l'attitude des savants (ulémas) de différentes époques
musulmanes.
En effet si le Coran était révélé par fragments
c'est parce que ses versets constituaient le plus souvent des réponses
à des situations spécifiques auxquelles devait faire face la communauté
des fidèles autour du Prophète. C'est à dire une réponse
relative à un événement historique daté.
Ainsi l'absolu révélé ne peut être dans la
littéralité de la formulation mais dans le principe et
l'orientation qui se dégagent de la réponse. C'est ce qu'ont traduit
les premiers juristes avec la notion de maqâsed al charia : les
objectifs et les principes d'orientation de la législation.
Il s'agit là de la conceptualisation, après coup, de ce que le
Prophète et ses compagnons recevaient, comprenaient et appliquaient naturellement.
PORTEE LEGISLATIVE DES TEXTES
Ainsi le Coran offre des principes directeurs ou d'orientation qui sont, par
essence, absolus puisqu'ils proviennent du Créateur qui indique à
l'homme la voie (charia) à suivre. Ces principes sont la référence.
Mais les juristes ont la responsabilité, en tout lieu et à toute
époque, d'apporter des réponses en prise avec leur environnement
sans trahir l'orientation des textes. Il ne s'agit donc pas de refuser l'évolution
des sociétés, le changement des modes et des mentalités,
ou les diversités culturelles: bien au contraire, le musulman est mis
en demeure par plusieurs versets coraniques de respecter l'ordre divin qui a
voulu le temps, l'histoire et la diversité.
A l'instant même où il s'occupe des affaires humaines, l'homme,
porteur de la foi, doit donc admettre les données de l'évolution
historique, la diversité cultuelle et culturelle.
L'IJTIHAD, LE FIQH
De fait, en matière législative, le droit islamique c'est d'abord
l'ensemble des prescriptions générales stipulées par le
Coran et la Sunna. Ne pouvant suffire à répondre aux questions
de la vie quotidienne des musulmans, très vite fut développée
une méthode et établis des principes de recherche en matière
de droit : "mettre toute l'énergie à formuler un jugement propre".
Cette activité de réflexion est connue dans le droit islamique
sous le nom de ijtihâd, mot arabe dont le sens est littéralement
"mettre toute son énergie", "faire l'effort de". Il s'agit, pour le juriste,
en l'absence de textes de référence de s'atteler à formuler
rationnellement une réglementation correspondant à son lieu et
à son époque et qui ne trahisse pas l'enseignement et l'esprit
des deux sources fondamentales. Selon les lieux et les époques, les réponses
ont donc dû s'adapter au contexte : elles furent par la force des choses
plurielles mais toujours "islamiques".
Ce travail d'adaptation permanent qui est le fait des juristes est connu sous
le nom de fiqh. L'ijtihad produit donc le fiqh qui regroupe
l'ensemble des avis "islamiques" tant pour ce qui a trait au culte que pour
les affaires de la vie matérielle et sociale. Si les règles codifiant
le culte ne se modifient généralement que peu, il n'en va pas
de même du traitement des affaires sociales.
Le fiqh, est en définitive, une réponse donnée à
un moment donné de l'histoire par un juriste qui "a fait l'effort" de
formuler un avis ou une législation islamique. On doit certes en saluer
le travail mais nullement sanctifier les décisions ou les propositions.
Il est donc cette exigence qu'a eu l'islam de ses fidèles, dès
l'origine et jusqu'à aujourd'hui, de façon explicite, de penser
concrètement, rationnellement, leur rapport au monde et à la société.
LA CHARIA
La référence à la charia fait l'effet d'un épouvantail
aujourd'hui en Occident. En parler c'est commencer le décompte sordide
des châtiments corporels. C'est mettre en avant la répression des
hommes par laquelle les femmes se voient considérées comme des
mineures sur le plan légal.
Nourrie par cette imagerie, la référence à la charia
apparaît comme un enfermement obscurantiste et fanatique.
Et rien des exemples des pays musulmans dont le discours officiel prétend
faire référence à la charia ne vient contredire de telles
conclusions.
Il convient pourtant de recentrer le sens de cette notion majeure de la pensée
islamique qui souffre aujourd'hui d'un formidable malentendu.
Charia est un terme arabe qui veut dire littéralement le chemin.
Plus précisément, c'est le chemin qui mène à
la source.
Pour le musulman, prononcer l'attestation de foi, prier cinq fois par jour,
donner l'impôt purificateur (zakât), jeûner le mois
de Ramadan et faire le pèlerinage, c'est appliquer la charia.
Il serait plus exact de dire que mener sa vie la plus élémentaire
: manger, boire, dormir, répondre aux besoins quotidiens dans le rappel
de la présence du Créateur, c'est appliquer la charia.
Dès lors qu'il oriente ses actions vers la reconnaissance du Créateur,
l'homme porteur de la foi s'engage dans l'esprit et la volonté de la
charia. Dès lors qu'il vit, dans l'immédiateté de
son action, dans l'espoir d'aller toujours plus loin dans l'approfondissement
de sa spiritualité et de sa pratique, il se met sur le chemin de la
source.
Il en va de même, sur le plan social :
Quatre révélations sont venues annoncer dans un premier temps
puis progressivement renforcer l'interdiction de l'usure (al ribâ).
Les canonistes musulmans ont tiré de ce procédé pédagogique
une règle majeure d'élaboration du projet social : préparer
les conditions et le contexte dans lesquels l'application d'une règle
resterait fidèle à l'objectif coranique (maqâsed).
S'engager dans une pratique sociale de la charia, passe donc par l'élaboration
des moyens pour une justice sociale. Toute démarche ou toute réglementation
qui ira, dans le respect des sources, vers plus de justice et de droits fondamentaux
des individus et des peuples est en réalité une application concrète
de la charia. Se satisfaire d'un formalisme pénal est quelque
part une violation des maqâsed.
L'état des sociétés dites musulmanes aujourd'hui est tel
que toute prétention à appliquer la charia par le biais
du code pénal sans tenir compte d'un contexte social profondément
perturbé, c'est faire un raccourci qui, en réalité, trahit
la portée du message coranique et fait fi de sa priorité à
l'éthique de justice.
Boubaker El Hadj Amor