lsraël a été appelé "Peuple du Livre" en raison de son attachement au Livre par excellence, "La Bible", qui a contribué puissamment à l'édification spirituelle et morale du genre humain.
Les textes sacrés du judaïsme sont de deux ordres la Torah écrite,
reçue il y a 3300 ans dont le noyau est le "Pentateuque", transmise par
écrit, et qui correspond à peu de choses près à
la Bible chrétienne (les chrétiens ont intégré dans
leur canon des textes rejetés par les rabbins, ou inconnus d'eux au 2e
siècle de l'ère chrétienne, quand les juifs ont ressenti
le besoin de définir un canon des textes sacrés), et la Torah
Orale, somme d'enseignements transmis oralement, que la tradition fait remonter
à Moïse lui-même et qui sont rassemblés dans la littérature
talmudique.
Le talmud, mis par écrit au 2e siècle, pour éviter au peuple
de perdre la tradition, à cause de la dispersion et des persécutions,
comporte plusieurs parties.
La Mishna, enseignement retenu par les compilateurs réunis autour de
Rabbi Yehuda ha Nassi, La Guemara (enseignement complémentaire) qui constitue
le développement et le commentaire de la Mishna.
Le Midrash, commentaire littéraire allégorique et philosophique
du Pentateuque ou d'autres sections de la Bible.
A côté de ces livres et études, il faut ajouter l'existence
d'un autre commentaire le Zohar, principe de morale et d'interprétations
des écritures pour autant qu'elles nous soient accessibles.
Le caractère inspiré de chacun de ces livres donne son autonté
et son droit a figurer dans le Canon.
Torah Ecrite et Torah Orale (Bible et Talmud) sont considérés
par le judaïsme comme des traditions révélées. J'y
reviendrai. Expliquer la Torah selon les critères de la pensée
rationnelle n'est pas chose facile, même si plusieurs commentateurs ont
essayé de le faire. Il y a des valeurs affectives et des aspects traditionnels
inhérents à toute oeuvre d'origine métaphysique. Une appréciation
objective des données de la Bible, comme de celles des réalités
historiques montre cependant que les critères de la ratio
ne restent toujours pas sans appel. lls sont transcendés par une dimension
d'un autre ordre qui relève de certains facteurs irrationnels. La réalité
est par essence de nature complexe, elle ne se prête pas toujours aux
simplifications par les hommes de théorie.
Je disais Tradition révélée, les deux termes sont importants,
parce qu'il ne s'agit pas seulement d'une révélation (un texte
tel quel donné par Dieu et sacré pour cette raison) mais aussi
et en même temps d'une tradition (une chaîne de transmission inscrite
dans l'Histoire).
Deux passages du Talmud en font foi : tout d'abord, le Talmud de Babylone, traité
Meghilla, folio 14a : "Maints prophètes se sont levés en lsrael;
leur nombre atteint le double des Hébreux qui sortirent d'Egypte, seule
la prophétie requise pour les générations futures fut mise
par écrit. Il n'en était pas ainsi pour ce qui ne présentait
pas ce caractère". Les rabbins de l'époque de la Mishna reconnaissent
que Dieu a inspiré beaucoup plus de prophètes que la tradition
n'en a retenu, mais à leurs yeux, la plupart des textes prophétiques
n'avaient qu'une destination circonstancielle, ils étaient destinés
à transmettre un message valable seulement pour une période donnée
et des circonstances spécifiques (au passage, notons que c'est là
ce qui explique la nécessité d'établir un canon, corpus
de textes reconnus comme sacrés et méritant d'être transmis
aux genérations postérieures). Il y a là, en somme, une
révélation qui ne débouche pas sur une tradition.
Le second texte, les premières lignes du traité Pirke Avoth (Talmud
de Baby lone, Mishna, 1, 1), explique le mécanisme de la Tradition :
Moïse reçut la Torah au Sinai ; il la transmit à Josué
; Josué la transmit aux anciens, les anciens aux prophètes, et
les prophètes aux hommes de la grande assemblée. Ils disaient
trois choses : soyez circonspects dans vos jugements ; formez de nombreux disciples
; élevez une barrière autour de la Torah.
La révélation, est destinée à être transmise par enseignement. Les trois recommandations qui terminent cette citation définissent très exactement la conception que les rabbins de l'époque de la Mishna( 11ème s de l'ère chrétienne) se font du rapport entre la Loi et les Hommes: il faut être circonspect dans ses jugements, c'est à dire n'appliquer les commandements de la Loi ni de manière mécanique, ni à la légére il faut former des disciples pour transmettre non seulement les textes sacrès originels, mais les interprétations et lajurispi'udence élaborées par les générations de maîtres de qui nous avons reçu la Loi il faut élever une barrière, en innovant, de génération en génération, pour que les changements de milieu et d'époque n'affectent pas l'observance des règles fondamentales de la Loi.
La conséquence qu'entraîne la double nature de la Loi (Révélation ET Tradition) est très importante on reproche Souvent au judaïsme d'être une religion ultra conservatrice, obsessionnel lement attachée a des rites immémoriaux Mais ici nous voyons que l'homme n'est pas chargé d'exécuter sans discuter les commandements divins et vivre dans un monde figé, éternellement régi par des règles immuables. Au contraire il développe la Loi , il poursuit l'oeuvre de Dieu, car la nature de la Loi l'autorise a créer, dans l'Histoire, de nouvelles réglementations, voire en supprimer d'anciennes (par exemple la polygamie, supprimée par la takkana de rabbenou Gershom au XI è siècle). Ce caractère dynamique de la Loi, le judaïsme l'appelle la Halakha (la voie).
Cette interaction de l'homme et de la Loi implique, pour l'Homme une attitude active, au lieu d'une simple soumission aux règles du passé : le traité Pirké Avoth, 2, 17 rappelle que le rapport privilégié que les juifs entretiennent avec la Loi se merite et a un prix : elle impose à l'homme l'effort constant de se rapprocher de la perfection : "Rends-toi apte à étudier la Torah, car tu ne la reçois pas comme un héritage ; que toutes tes actions soient faites à cause du ciel" Puisque l'Homme crée de la Loi, il a le devoir de s'efforcer de ressembler a Dieu. La Bible donne l'image dynamique et éternellement jeune de l'existence humaine. Un bon Juif, c'est en quelque sorte la Loi incarnée. Lorsque les Juifs disent qu'ils attendent encore le Messie, c'est dans cette perspective qu'ils parlent : le Messie viendra lorsque les hommes auront fait triompher la Loi en eux-mêmes. Dieu n'enverra le Salut que Si l'homme en a au préalable créé les conditions. La Loi nous enseigne le devoir d'humaniser notre monde et, en somme, l'idée qu'on a le monde qu'on mérite.
Jacques Mergui