Le Christ fait du rite une Bonne Nouvelle, en l'évangélisant. Le protestantisme, quant à lui, pour faire un bon usage du rite, avertit depuis ses origines du danger de l'identification du Sacré avec ce qui le porte. Il articule donc le rite à la critique prophétique pour qu'ils s'interpellent mutuellement. Dans un premier temps, je tenterai de répondre à la question : quelle est la place du rite dans mon rapport à Dieu ? Ensuite, je parlerai de la place du rite dans mon rapport à l'homme.
Dans le rapport à Dieu.
L'affirmation protestante se traduit par une critique de toute superstition et de tout magisme.
Normalement, le rite devrait exprimer le respect de l'humain à l'égard de l'univers et de son sens. Ce faisant, l'humain renonce à toute maîtrise. Il reconnaît avec joie et liberté sa dépendance à l'égard de Dieu.
Cependant, le rite est également un service de Dieu, dans lequel l'homme cherche à l'apaiser, à lui rendre ce qu'il pense lui devoir, à le gagner et donc à le contrôler rituellement. Cela lui permet de maîtriser le sens de la vie. Qui contrôle le rite, contrôlera ce que le rite contrôle. Le rite devient alors magique.
Pendant près de quatre siècles, le rationalisme et la modernité ont critiqué cela. Du coup, le geste rituel a perdu de son importance aux profits de la parole verbale et logique. La parole verbale est devenue toute-puissante. C'est le cas dans le protestantisme notamment. Et là, le protestantisme se rappelle le danger de l'identification du Sacré au discours que l'homme en fait.
Pour nous sortir de ce piège, il est devenu nécessaire de redécouvrir les valeurs du geste rituel. A cause de la finitude humaine, nous avons besoin de rite.
Et nous abordons ici l'aspect inter-humain du rite.
Quelle est la place du rite dans mon rapport à l'homme ?
Le protestantisme a contribué à l'émancipation du rite vis-à-vis du religieux. En effet, il a désacralisé le monde, l'espace, le temps et les personnes : Dieu seul est Saint. Il affirme que le Sacré ne se confond pas à nos rites. Le Sacré n'est pas réductible à un objet parmi d'autres objets, mais se situe comme une exigence, comme une espérance de « ce qui devrait être ». Ce faisant, le protestantisme dissocie le Sacré de l'acte rituel. Cela permet à nos contemporains de redécouvrir les intérêts humains du rite. Le rite a une fonction sociale évidente. Il institue en ce qu'il sanctionne un ordre établi. Il unifie et différencie en même temps. Il dit à chacun ce qu'il est. Il lui propose d'une certaine manière une identité. Il lui donne un statut. Il l'encourage à jouer son rôle, à vivre selon les attentes sociales liées à son statut, à trouver sa place dans son rapport aux autres et à l'univers. Sur le plan psychologique, le rite suscite le sentiment d'appartenance à un groupe. Il sécurise le participant et l'aide à surmonter la peur de l'autre. Il est source de transformation de la personnalité. Il peut "forger" des capacités psychiques pour affronter une nouvelle situation devant les autres.
Pour conclure.
Quand quelqu'un me demande quel est le rite ou la morale spécifiquement protestant, je l'invite à parler de la vie quotidienne. Je suis convaincu que le rite devrait nous décentrer de nous-mêmes, car l'essentiel est ailleurs, hors de la communauté religieuse, dans l'humanité qu'il faut servir. La religion est au service de l'Homme, et non l'inverse. Le vrai rite serait celui qui s'inscrit dans la réalité humaine, vécu par chacun dans sa vie quotidienne. Dans un certain sens, le service de Dieu est un envoi au service de l'Homme : essayer de comprendre la situation dans laquelle je me trouve, de la vivre de manière libre et responsable, et tenter de lui donner un éclairage transcendant. Le but ultime serait finalement de réconcilier la religion avec la culture.
Aujourd'hui le protestantisme est en quête de rite désacralisé, davantage dans sa dimension symbolique ou métaphorique, c'est-à-dire en tant que signe qui participe réellement au pouvoir de la réalité qu'il signifie. La question est de savoir comment. En effet, on ne peut pas inventer ni abolir un symbole : il résulte d'une "rencontre" avec la Réalité qu'il signifie et meurt quand cette rencontre cesse. A une époque où beaucoup sont tentés par un « retour au religieux », mais sans l'esprit critique que cela implique, la force du protestantisme consisterait, me semble-t-il, à puiser dans son essence même la volonté d'articuler le geste rituel et le geste prophétique critique. Le rite protestant sera toujours en marche, en chantier, révisable, sans cesse à réformer. Il faut rester attentif à chaque situation humaine et historique, qui peut devenir un moment favorable de rencontre avec Dieu. Et en même temps se rappeler le danger de l'identification du sacré avec ce qui le porte.
Mino Randriamanantena
Pasteur Eglise Réformée Poitiers