Intervention de M. Mino Randria :

Le thème d'aujourd'hui est de savoir si cette légitimité est reconnue dans notre monde moderne, dans notre monde ultra moderne, dans notre monde en crise... si cette légitimité est reconnue, et pour cela, je partirai de deux sens étymologiques possibles du mot religion : religio en latin, pour évoquer quelques enjeux, quelques attentes vis-à-vis des religions aujourd'hui.
Le premier sens vient du verbe latin relegere, qui peut signifier recueillir ou relire. Si l'on comprend la religion en ce sens de relire, cela implique à mon avis 3 enjeux pour nous. Tout d'abord, l'enjeu de la fidélité. La parole des religions est présente sous la forme de textes fondateurs, de culture, de traditions, de civilisation. Aucune société ne peut se passer d'une fidélité à ces valeurs que nous avons reçues et que nous avons aussi à transmettre pour donner sens à la culture.
Ensuite donc l'ensemble du sens de l'existence ? La parole d'une religion lit et relit le sens de l'humain. Dans un monde en crise, elle répond à la question du sens de l'existence humaine. L'humain a besoin d'une parole de protection ; l'humain a besoin d'une parole de bénédiction sur sa souffrance. Il a besoin de mots qui expriment sa plainte, qui expriment sa quête, sa prière.
Troisième enjeu : c'est l'enjeu du langage. Le langage religieux permet de souligner l'élan humain vers l'infini, vers l'absolu. La parole de religions donne un langage pour dire cet élan et pour dire la culpabilité, l'espérance, le désir d'aimer ou le désir d'être aimé. Et aussi un langage pour donner de la chair à l'émotion, pour donner de ta vie à la fraternité, pour donner de la vie à nos idées abstraites de Dieu.
Voilà trois exigences, concernant cette conception de la parole des religions comme relecture, comme retour à l'essentiel.
Le mot religion pourrait aussi venir du latin relegare, qui signifie relier, tisser du lien, ce qui implique trois enjeux pour les religions, me semble-t-il.
D'abord le premier enjeu : l'enjeu du lien social. Puisque aucune société ne peut se passer de lien social, traditionnellement, le lien entre les adeptes d'une religion résulte de leur lien commun avec la transcendance. Dans ce sens, les religions créent du lien social.
Deuxième enjeu : l'enjeu de la post-modernité. L'être humain, de notre ère post-moderne ou ultra-moderne, a besoin d'entrer de plus en plus en communion avec ses proches, pour ne pas être aliéné par le système, pour ne pas être écrasé. L'amour : il peut s'agir ici d'un besoin d'appartenir à une communauté proposant une identité collective forte, d'une recherche d'une identité communautaire, d'une recherche d'une appartenance. Il peut s'agir aussi, et il s'agit le plus souvent, d'un besoin de vibration collective, d'émotion communautaire ou communion émotionnelle, et ceci est souvent associé à un besoin intense d'être reconnu. Les religions peuvent répondre à une telle attente.
Dernier enjeu : celui de l'intégrisme. Face à la crise de notre société, l'humain du 21e siècle cherche l'absolu. Il cherche la consécration, l'idéal. Mais cela comporte des risques. Dans cette quête l'humain est parfois tenté par l'absolutisme. En quête d'absolu, il tombe dans le piège de l'absolutisme, du fanatisme, du totalitarisme, des pièges qui risquent de le déshumaniser, c'est-à-dire d'enlever ce qui est humain en lui. A mon avis, c'est le défi qui attend les religions au 21e siècle. Malheureusement au 20e siècle, il y a eu des exemples très durs qui ont montré cette déshumanisation venant d'une quête d'absolu et tombant dans le piège du totalitarisme. De même au 21e siècle, les religions doivent relever le défi de lutter contre ces pièges. La parole des religions devra jouer un rôle éducatif pour que la quête de l'absolu ne tombe pas dans l'absolutisme. Et dans ce sens, nous devons travailler ensemble. Ensemble dans le dialogue, nous devons aider l'humain à redécouvrir la raison, à redécouvrir la tolérance et bien plus que la tolérance, la liberté.

Je vais terminer par quelque chose qui nous concerne dans notre contexte en France. Depuis le début, en France il existe deux formes de laïcité : la première veut éradiquer toute forme de religion, sinon confiner la religion dans le domaine du privé, du strictement privé : c'est la tendance Emile Combes. L'autre tendance était celle proposée par Jean Jaurès, suivi par Aristide Briand, qui était d'affirmer une neutralité de l'état à l'égard de toutes les croyances, mais aussi une laïcité qui souhaite garantir la liberté de conscience de chacun avec les droits de l'homme et du citoyen. Donc deux formes de laïcité. Je pense qu'entre ces deux formes, la deuxième respecte mieux la légitimité de la parole des religions. Neutralité de l'Etat à l'égard de toutes les croyances, qui garantit la liberté de conscience de chacun en conformité avec une règle commune : les droits de l'homme et du citoyen par exemple. Et dans ce contexte, quand les religions s'expriment publiquement, à mon avis, elles doivent faire la distinction entre la liberté de croire d'une part et la nécessité de connaître d'autre part. Qu'est-ce que cela signifie?
D'une part par la nécessité de connaître les religions devront aider les citoyens à acquérir des connaissances sur les religions. Elles doivent les aider à respecter les convictions de chacun, à s'aider à s'ouvrir sur les valeurs, l'éthique, le sens. Les religions devront entrer en dialogue avec les autres disciplines non seulement les sciences humaines, mais aussi avec celles qui ont une idée éthique.
En même temps, elles laisseront à chacun la liberté de croire ou non. Ce ne sera sans doute pas facile mais ce n'est pas une raison pour abandonner.
Merci de votre attention.

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