Dans le protestantisme, selon la situation dans laquelle on se trouve, soit seul devant Dieu, soit avec les hommes dans le rapport avec eux, on distingue volontiers deux figures du juste qu’on articule l’une à l’autre. Les protestants réformés s'intéressent particulièrement à l'intégrité de chacune de ces deux figures.
Devant Dieu,
Dans la rencontre avec Dieu, la figure du juste est marquée par la gratuité
absolue, c’est-à-dire un amour désintéressé, inconditionnel, et pourtant absolu,
infini et éternel. Dans ce sens, Dieu seul est juste.
Cette justice peut être reliée à deux sortes de loi qui répondent à l’appel
de l’amour infini :
-La loi de Dieu pour le croyant. La loi révèle alors la réalité des limites
humaines à atteindre la perfection divine.
-La loi naturelle, pour le non-croyant. Ici, la loi morale peut se définir comme
l’acte moral gratuit, désintéressé, qui s’impose à moi, sans condition, et auquel
je peux accéder par la raison. J’agis alors comme tout le monde devrait agir
à ma place en tant que personne douée de raison et non selon ses désirs ou intérêts.
Qu’elle soit d’origine divine ou d’origine naturelle, la loi renvoie l’homme
à l’exigence de l’amour et lui révèle ses limites et sa finitude humaine. Devant
Dieu, la justice n’est autre chose que l’amour absolu.
En protestantisme, on utilise le mot « grâce » pour exprimer cet amour
absolu qui se trouve au cœur et au fondement de la Réforme protestante. Cette
« grâce » a deux versants. Le premier versant de la grâce est la justice
de Dieu qui est bonté, amour gratuit, gratuité parfaite, inaccessible à l’humain.
Dieu seul est juste. Toutefois dans sa grâce, Dieu rejoint l’humain imparfait.
Dieu décide de déclarer juste l’humain, gratuitement, sans condition, à cause
de son amour et à cause de la fidélité du Christ. Le deuxième versant de la
grâce est une conséquence du premier et se manifeste par la justice humaine,
sous la forme d’une gratitude, réponse à la gratuité.
Devant les hommes,
La figure du juste est marquée par l’humanité. Être juste peut alors se traduire
simplement par être humain. La justice devant les hommes répond à l’appel de
l’amour. La façon d’aimer varie d’un contexte à l’autre, d’une culture à l’autre,
d’une humanité à l’autre. Dans ce domaine, qui est celui de l’éthique, la grâce
En protestantisme, la justice humaine est une gratitude qui tente de rendre
compte de la gratuité de l’amour de Dieu. En effet, comment penser la justice
devant les hommes autrement qu’en terme de gratitude quand on a accueilli le
don de Dieu. Calvin disait qu’à cause de la grâce de Dieu, il faut : « se
vider de tout souci de son propre salut ».
La figure du juste, devant les hommes, est donc celle de l’humain reconnaissant
qui tend sans cesse vers plus d’humanité, répondant à l’appel de l’amour parfait.
Quel est alors le rôle de la religion ?
1) La religion consiste-t-elle à administrer la justice divine ? A cette
question, le protestantisme réformé répond non. Par gratitude, la religion peut
être reconnaissante pour la fidélité ou la justice de certaines personnes.
Par contre, la justice de la religion reste humaine, devant les hommes, marquée
par la finitude humaine. Le protestantisme rappelle la nécessaire distinction
entre la justice divine, dans sa perfection, et la justice humaine, ambiguë.
La justice devant Dieu est pure gratuité infinie, inaccessible aux hommes, et
à laquelle l’homme ne peut contribuer en rien. La justice de Dieu qui déclare
juste traverse toute frontière d’appartenance, y compris religieuse. Elle ne
dépend pas de la pratique religieuse. La bénédiction adressée à Moïse s’étend
à toute l’humanité. La religion n’est là que pour rendre compte de cette gratuité.
Son rôle est simple. Elle sert à aider l’humain à grandir en humanité.
2) Je distingue trois éléments constitutifs des religions : la dogmatique,
la mystique et l’éthique
La religion a pour but l’éthique et se sert de la dogmatique et de la mystique
comme moyens pour l’atteindre. L’éthique désigne un effort pour transformer
positivement le monde et pas seulement l’application dans une vie individuelle
d’un code de conduite ni le respect personnel d’un certain nombre de règles
morales. La religion a deux fonctions : fournir une explication de l’univers
et aider l’homme à trouver une conception de la vie, c’est-à-dire une éthique.
Une religion s’évalue en fonction du service qu’il rend à l’homme.
La religion joue le rôle de béquilles qui soutiennent l’humain dans sa marche,
à cause de l’infirmité due aux limites de ce dernier. Car la justice humaine
n’est jamais parfaite, voilà pourquoi l’humanité a besoin de religion.
3) La justice humaine a besoin de loi. Pour Luther, l’appel de la grâce n’a
rien à dire dans l’élaboration de cette loi qu’il considère comme profane ou
naturelle. Par contre, pour Calvin, l’appel de la grâce s’exprime forcément
par une gratitude qui contribue à l’éthique individuelle et communautaire. La
religion doit contribuer à la détermination de la loi ou de la règle morale
la plus juste possible selon le contexte.
Pour cela, la religion aidera l’humain à sortir de l’infantilisme pour tendre
vers plus d’émancipation et de liberté. Une liberté non pas seulement à se soumettre
à une règle morale ou même à la contester. Mais, bien plus encore, être responsable
de l’interprétation de la règle ; responsable de la règle qu’il se donne
à lui-même ; voire rester responsable quand il n’y a plus de règle qui
dicte son devoir, par exemple dans une société postmoderne ou ultramoderne.
La loi et la justice humaine sont au service de l’humain et non l’inverse.
La figure du juste est celle d’un humain émancipé, dans une autonomie qui ne peut pas être close. Pourquoi ? Parce qu’elle est maintenue ouverte par l’appel de l’amour et de la gratuité.
Mino Randriamanantena, pasteur de l'Eglise Réformée à Poitiers