Réflexion sur les images de Dieu

On peut sans doute, à cette question, répondre sous deux aspects fort différents :

- il y a l'image que j'ai de Dieu,si tant est qu'il peut y avoir une image de Dieu
- il y a l'image que je donne de Dieu et il me semble que sous cet aspect, il y a deux dimensions : la dimension personnelle et la dimension collective (qui s'exprime par exemple dans le culte, dans l'histoire, dans l'art, dans la culture etc..).

1/ La dimension personnelle.
Une première histoire : il y a plusieurs années, comme ils le font toujours d'ailleurs, les catholiques envoyaient leurs enfants au catéchisme. Dans cette formation la question de Dieu était posée. Elle était formulée sous cet aspect : qu'est-ce que Dieu ? Les générations les plus anciennes de chrétiens doivent encore savoir la réponse. La réponse très habituelle était de dire : Dieu, nous savons bien : il est un pur esprit... Je défie qui que ce soit de me dire ce qu'un enfant de 8-10 ans peut comprendre d'une telle affirmation. Cette définition n'est sans doute pas fausse. Elle n'a qu'une limite et cette limite, je dirais, l'invalide par rapport aux générations actuelles : elle est une définition. Or une définition circonscrit l'objet de sa recherche. En quelque sorte une définiton fige la question. On connaît la définition d'un trapèze et la définition s'applique à toute espèce de trapèze. La définition est de l'ordre du savoir rationnel qui a ses lois, ses principes de développement, sa logique.
On voit bien la difficulté : y a-t-il un savoir sur Dieu ou y a-t-il une connaissance de Dieu ? Le mot n'a pas la même connotation.
Si je sais tout de Dieu, si je le définis, je risque de le circonscrire et ce faisant de me l'approprier.
Je sais tout de lui. Il ne peut plus être une curiosité qui à la fois peut être attirante et repoussante. Il n'est qu'une définition complète, parfaite, mais sèche comme du bois mort, dont je peux très bien définir toutes les propriétés mais qui manque sans doute d'un essentiel qui est de l'ordre de la vie et la vie n'est pas définissable...

2/En ce qui concerne les catholiques, il y a eu un évènement mais c'est un événement qui a concerné les autres chrétiens et au-delà tous les hommes : le concile Vatican 2, qui s'est tenu entre 1962-1964. Les catholiques n'ont pas donné dans cet événement une définition de Dieu mais on a souligné entre autres choses que l'homme est un être dans l'histoire, non seulement parce qu'il a une date de naissance et un moment où il quitte cette terre mais parce qu'il subit tout au long de sa vie des modifications internes, externes et qu'il modifie lui-même le monde. Autrement dit : le fait de me saisir comme homme, femme, dans l'histoire, ne change-t-il pas mon image de Dieu ? Le fait de me saisir comme un être enraciné dans un hier, vivant un présent, se dirigeant vers un avenir risque bien d'avoir quelques conséquences sur mon image de Dieu. L'image de Dieu ne peut être sans compréhension de ce que je suis.
Avec ce corollaire que, de même que dans une relation l'expérience de l'autre que je fais me modifie mais aussi modifie l'autre, de même l'expérience que je peux avoir de Dieu me modifie et l'image que j'ai de Dieu ne peut que sans cesse se modifier.
Mais cette expérience que me dit-elle réellement de Dieu ?
Quand je prends la référence biblique, mais je peux prendre aussi la référence du Coran, qui me parle de Dieu avec un certain nombre de représentations, de mots, qui me disent tous quelque chose de Dieu, il y a cette question qui est dans le livre de l'Exode dans la rencontre de Dieu et de Moïse : de la part de qui pourrai-je m'adresser aux Hébreux ? Quelle que soit la traduction dela réponse qui est faite : je suis Yahwé, je peux la traduire : je suis ce que je suis. Autrement dit, c'est ainsi que je le reçois, à toi de me trouver et de poursuivre ainsi la recherche. C'est ainsi que je l'interprète et je souligne ce mot-là : Dieu ne me dit pas : voilà ce que je suis; voilà ce que tu dois comprendre de moi mais à toi de te débrouiller pour saisir ce que je suis ou qui je suis.

De cela je tire plusieurs conséquences :

- l'image de Dieu que je peux avoir est une image d'expérience et qui dit expérience dit une transformation qui me concerne et qui concerne les hommes et le monde. Sinon ce ne pourrait être qu'une illusion qui tomberait sous la critique des sciences humaines.

- C'est une image évolutive. Ce n'est pas Dieu qui évolue nécessairement mais moi sûrement.
Manière de dire que Dieu est toujours au delà de ce que je peux en dire et que le langage que je peux en tenir n'est jamais définitif et absolu.

- Troisième conséquence que je tire de cette rapide réflexion : pour dire quelque chose de Dieu, pour signifier quelque chose de Dieu, le langage non pas rationnel mais notionnel est radicalement insuffisant. Il est nécessaire que le langage traduise cette profondeur-épaisseur du mystère de Dieu. Je sais bien que notre société veut que tout soit transparent. Mais on peut se dire que si l'amour était totalement transparent, il deviendrait inutile parce qu'il n' y aurait plus d'histoire, parce qu'il n'y aurait plus rien à découvrir de l'autre, plus rien à découvrir avec l'autre.
La non-transparence n'est pas une question de vérité ou de non vérité mais c'est de l'ordre du mystère, entendu au sens d'océan infini d'un amour et je ne peux que le dire ­ cet amour ou ce mystère - par image symbolique qui peut évoquer tout à la foi la relation, la non-relation, la vie...

- si c'est une histoire que la relation avec Dieu, il y a donc nécessairement changement mais qui me mène où ?

3 / Et c'est là qu'arrive une troisième image : je la prends dans la Bible et elle est présente dans toutes nos traditions comme chez un nombre important de mystiques chrétiens. A Noël, je visite le lycée St Jacques de Compostelle. L'établissement a réalisé une crèche et dans la crèche, qu'y a-t-il ? Une échelle et pas une petite échelle mais une échelle visible, qui tient bon. Que vient faire cette échelle dans cette crèche ? Voilà une interprétation possible : Pour une échelle il faut deux montants et il faut des barreaux et ces éléments sont tous nécessaires. Les montants expriment la transcendance puisqu'ils lient le bas et le haut mais ils ne peuvent tenir que par les barreaux qui expriment une transversalité. Les montants peuvent dire le lien qui lie l'homme et Dieu et ce lien ce sont les religions, diverses mais nécessaires qui vont permettre l'expérience de foi qui peut s'exprimer à travers les barreaux qui donnent à l'homme une possibilité de grandir dans cette expérience à travers les moyens qui sont développés, moyens que sont le pélerinage, la prière, l'aumône ou le partage, la solidarité, la lecture de textes fondateurs, autant de barreaux qui permettent de monter vers le Mystère de la rencontre. Comme si Dieu était l'invisible recherché dans le visible.

Transcendance et pluralité des images de Dieu. Plutôt que de les exclure, je les inclus dans une dynamique de recherche permanente.

Quand je suis en Afrique, il y a nécessairement, je dirais, une autre image de Dieu parce que l'humanité dans laquelle un croyant se constitue en Afrique est marquée par la poussière, le soleil, la danse, le corps....

4 / Enfin il y a une dernière chose qui peut être soulignée : peut-il y avoir une approche de Dieu sans un approfondissement de la fraternité humaine ? Comme si la rencontre de Dieu ne pouvait renvoyer qu'à une fraternité plus grande et comme si la rencontre du frère renvoyait à une paternité, à une origine qui est en Dieu et que nous trouvons présente dans une figure qui est celle de Jésus, image de Dieu : c'est en tout cas l'interprétation chrétienne, qui incite à reconnaître en tout homme un frère aimé de Dieu. Et là il est possible d'indiquer comme un foyer de la médiation chrétienne la mort de Jésus : « Ce que vous avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 5,40). L'image de Dieu s'intériorise et se discerne au plus profond dans le geste de la fraternité. C'est en tout cas l'interprétation, me semble-t-il, de tout chrétien.

Gilbert Roux

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