Le temps est omni présent dans la religion juive comme, croyons-nous, dans toutes les religions.
Sa marque se trouve d'abord dans l'éternité de D.ieu
qui s'oppose à la finitude du destin terrestre des hommes.
Mais si les hommes ne possèdent pas l'éternité, ils en
ont le désir, qui se marque de mille façons différentes :
- le culte du Souvenir, qui témoigne de l'importance de la mémoire
(Yizkor), n'est pas seulement la marque du respect dû au passé puisqu'il
tend précisément à faire vivre dans notre esprit après
leur mort des êtres chers ou admirables ; il s'apparente ainsi à
l'édification de monuments, l'écriture de biographies, l'appellation
donnée à certaines institutions, toutes démarches visant
à prolonger la vie sous une autre forme
- l'ambition individuelle, la volonté de puissance des grands meneurs
d'hommes n'ont-elles pas en leur sein un désir d'éternité
plus ou moins conscient ?
- et surtout la ferveur dans la croyance de l'immortalité de l'âme
et de la résurrection des morts, bien qu'elle soit dans le judaïsme
mentionnée de façon plus discrète (et plus tardive) que
dans les autres religions monothéistes.
Toutes ces démarches, comme les prédictions des prophètes,
participent d'une projection dans l'avenir, dont le couronnement est la survenue
des temps messianiques, annoncée par Elie.
Confronter le temps de D.ieu et celui des hommes fait jaillir un questionnement
à la mesure du mystère divin :
- la notion même d'éternité, l'absence de début plus
encore que l'absence de fin, dépassent l'entendement humain. Elles le
dépassent d'autant plus quand la Science nous apprend que le soleil,
et avec lui toute vie terrestre, s'éteindra dans un million d'années,
quand on calcule que la Terre existe depuis 3 milliards et demi d'années,
et qu'on découvre que l'origine de la vie se situe à 2 milliards
et demi d'années alors que la Bible nous dit qu'Adam a été
créé au 6ème jour de la Terre et que le culte hébraïque
nous situe actuellement dans l'année 5772 après la Création.
Le temps des Juifs, mesuré par les cycles lunaire et solaire, est surtout
scandé par les nombreuses fêtes.
Or, la plus sacrée de toutes ces fêtes, plus encore que Kippour,
plus encore que Pessah, est celle qui revient le plus souvent dans l'année,
j'ai nommé le Chabat. Le Chabat rythme véritablement
la vie des Juifs pratiquants. Pendant cette fête, les Juifs doivent, en
famille, tourner leurs pensées vers l'Eternel, opérer un retour
sur soi (Techouva), proscrire tout travail qui ne réponde pas
à une nécessité vitale (individuelle ou sociale) et toute
activité créatrice. Le Chabat est le jour de la prière ;
le Chabat passe pour être le temps de D.ieu. C'est le jour sacré
mentionné dans le Décalogue, signe perpétuel de l'Alliance
et de la sanctification du peuple d'Israël. "D.ieu bénit le
septième jour et le proclama saint" (Gen 2:3). Le bénéfice
du repos ordonné s'étend à toute la maisonnée du
Juif, à son bétail, à ses serviteurs et à l'étranger
qui est dans ses murs (Deut 5:14).
Les activités profanes, le travail, les jeux et les sports sont réservés
aux autres jours de la semaine. La semaine passe pour être le temps des
hommes.
Faut-il pour autant admettre qu'une telle dichotomie traduise l'esprit
de la religion juive ?
Certainement pas et ce serait commettre une erreur grossière que d'oublier
que la vie quotidienne des Juifs est régie
par de nombreux commandements (613 dont 365 interdictions) qui infusent la volonté
de D.ieu dans tous les instants et dans tous les aspects de la vie profane (étude,
respect des uatres, casherout). Inversement, le
D.ieu que nous invoquons à Chabat comme à Kippour
n'est pas un monarque détaché de sa créature, puisque dans
la tradition de Kippour, le pardon des semblables que nous avons blessés
ou lésés est plus urgent à rechercher que celui de D.ieu
Lui-même.
Principe fondamental de l'éthique juive, l'amour du prochain est un commandement biblique : "Tu ne te vengeras pas, tu ne garderas pas rancune envers les fils de ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme toi même" (Lev 19:18). Plus loin on dit la même chose pour l'étranger et l'indigène.
Encore une illustration du temps des hommes avant de terminer : "Quand un Gentil, candidat à la conversion, demande à Hillel, sage du 1er siècle avant JC, de lui enseigner toute la Loi, le temps de se tenir debout sur une seule jambe, celui-ci n'hésite pas à répondre : ce qui te déplait, ne le fais pas à ton prochain, c'est là toute la Loi, le reste n'est que commentaire, Va et étudie."
Ainsi le temps de D.ieu est celui des hommes et le temps de hommes celui de
D.ieu.
Il n'est de meilleur amour de D.ieu que l'amour des hommes.
Jacques Mergui